La poésie d'Apollinaire à l'épreuve du journal
Résumé
Dans L’Esprit nouveau et les Poètes (1917) Apollinaire associe explicitement « la liberté encyclopédique » qu’il revendique pour la poésie aux innovations réalisées par les journaux dans la mise en forme du réel. En développant ces considérations, nous nous proposons d’aborder de plus près les relations entre le journal et le laboratoire poétique apollinarien, un aspect encore négligé dans les études consacrées aux échanges entre la littérature et la presse. On s’est concentré sur l’époque des Soirées de Paris (1912-1914) ; cette période coïncide avec une phase particulièrement féconde pour Apollinaire qui publie Alcools et Les Peintres cubistes (1913) et élabore « une esthétique toute neuve » dont il affirme n’avoir « plus retrouvé les ressorts », à l’origine de compositions expérimentales telles que les poèmes conversation et les calligrammes. Après avoir évoqué les enjeux à l’œuvre dans les rapports entre la poésie et le journal au début du siècle, on a analysé le rôle que l’esthétique du journal, matrice de formes et diffuseur de modèles textuels, a pu jouer dans l’élaboration de la modernité apollinarienne. L’exploration autour de textes emblématiques (« Zone », « Lundi rue Christine », « Lettre-Océan » et « Voyage ») a montré qu’Apollinaire a accueilli les défis lancés à la poésie par la civilisation médiatique en reprenant son bien au journal, dont il exploite les procédés et les ressorts (l’effet de mosaïque et de polyphonie cacophonique, les ressorts typographiques, la dislocation spatiale du texte) qu’il réinvestit dans sa recherche des formes nouvelles de l’expression poétique.
In L’Esprit Nouveau et les poètes (1917) Apollinaire explicitly associates “la liberté encyclopédique” he claims for poetry with innovations made by newspapers in the shaping of reality. In developing these suggestions, our purpose here is to examine the relations between the press and Apollinaire’s poetic laboratory, a still neglected subject in studies concerning exchanges between literature and the press. We focused on “Les Soirées de Paris” years (1912-1914); this period coincides with a particularly fertile poetic time for Apollinaire who publishes Alcools and Les Peintres cubistes (1913) and creates “une esthétique toute neuve”, source of experimental compositions such as poèmes conversation and calligrammes. After discussing the main issues involved in the relationship between poetry and the newspaper at the beginning of the century, we have analyzed the role that the press – considered as a matrix of textual models - could have played in the rise of Apollinaire’s modernist poetry. An investigation conducted on major texts such as « Zone », « Lundi rue Christine », « Lettre-Océan » and « Voyage » shows that Apollinaire accepted the challenge posed by media civilization by developing the main features of the modern newspaper (the mosaic effect and cacophonous polyphony, the typographical composition and the spatial dislocation of the text) that he reuses in his search for new poetic forms.